jeudi 24 mars 2011

Iwaki, la ville de la peur | Michèle Ouimet, envoyée spéciale | Séisme au Japon

Iwaki, la ville de la peur

Hiroyuki berce son bébé à l'hôpital Kyoritsu, à... (Photo: Martin Leblanc)

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Hiroyuki berce son bébé à l'hôpital Kyoritsu, à Iwaki.

Photo: Martin Leblanc

Michèle Ouimet, envoyée spéciale La Presse

(IWAKI) Iwaki est situé à 45 km de la centrale accidentée de Fukushima - 30 à vol d'oiseau. Lorsqu'un réacteur nucléaire a craché de la fumée radioactive, un vent de panique a soufflé sur cette ville. Aujourd'hui, Iwaki n'est plus que l'ombre d'elle-même. La plupart des commerces sont fermés. Notre envoyée spéciale s'est rendue dans cette ville hantée par la peur.

L'hôpital Kyoritsu, bâtiment de huit étages planté au milieu de la ville, tient le fort. C'est le seul qui a de l'électricité. La plupart des médecins et des infirmières ont décidé de rester. Ils ne voulaient pas abandonner leurs patients - des vieux fragiles, des malades chroniques, des bébés prématurés. Impossible de les évacuer sans mettre leur vie en danger.

À l'entrée de l'hôpital, une pancarte: les visiteurs ne sont pas admis à cause d'une bactérie.

La bactérie n'a aucun lien avec le tremblement de terre ou la poussière radioactive, mais comme un malheur n'arrive jamais seul...

De l'autre côté des portes coulissantes qui donnent dans le grand hall, des infirmières, la bouche recouverte d'un masque, tendent poliment du savon.

L'adjoint du directeur, M. Sakai, arrive en courant, le pas sautillant. Il nous accueille avec une extrême politesse. «Désolé pour le désordre», dit-il en se penchant pour nous saluer. Désordre? L'hôpital est immaculé, les planchers propres, le personnel tiré à quatre épingles.

Mais cette apparence lisse est trompeuse. Les gens qui entrent dans l'hôpital doivent passer une scanographie pour évaluer la quantité de radioactivité sur leurs vêtements.

Le petit Aki, 6 ans, a mal à une oreille. Sa mère, inquiète, l'a amené à l'hôpital. Elle a une hantise: la radioactivité. Le médecin fait la scanographie. Aki, sourcils froncés, ne bronche pas.

Les couloirs sont presque vides. En temps normal, l'hôpital héberge 650 malades. Depuis le tsunami, il en reste à peine 280. Les gens quittent la ville dans un sauve-qui-peut alimenté par la peur.

Le directeur, Nobuo Hiwatashi, a les traits tirés. Son bureau est un capharnaüm qui tranche avec l'ordre spartiate de l'hôpital: une longue table couverte de documents, une bibliothèque remplie de livres jetés pêle-mêle, trois ordinateurs dont les fils courent dans tous les sens. Au milieu de la pièce, de grands canapés en velours que Brault&Martineau ne renierait pas.

Nobuo Hiwatashi se laisse tomber lourdement dans un fauteuil. Sa blouse blanche est fripée. «Au début, je me suis senti abandonné, confie-t-il. Mais depuis quelques jours, l'aide arrive.»

Il affirme qu'il est resté par sens du devoir. «L'hôpital doit être ouvert. Je dois me tenir debout.»

Le plus dur? Ne pas savoir si le réacteur de Fukushima va tenir le coup; ignorer pendant combien de temps la ville devra vivre avec cette épée au-dessus de la tête.

Et les radiations? Il hausse les épaules. Mais non, il n'a pas peur. Le gouvernement a décrété qu'il n'y avait aucun danger dans un rayon de plus de 30 km. Iwaki est à 45 km, me rappelle-t-il.

C'est vrai. Mais à 30 km à vol d'oiseau.

À l'étage au-dessus, l'unité de périnatalité, dirigée par le Dr Koshinobu Honda, est plongée dans le silence. Le Dr Honda nous fixe, incrédule: «Les journalistes japonais ne sont pas venus ici, dit-il. Ils avaient peur des radiations ou ils étaient trop occupés à couvrir les villes plus touchées par le tsunami.»

Il nous ouvre les portes de son service. Il ne reste que deux bébés. Prématurés. Le premier est né à 27 semaines, il est minuscule et d'une extrême fragilité. Le deuxième est né en décembre après 28 semaines de grossesse. Son père, Hiroyuki Suzuki, le berce dans ses bras avec une tendresse un peu gauche. Le bébé va mieux, beaucoup mieux.

«Nous partons aujourd'hui, dit M. Suzuki. Pas chez nous, parce qu'on n'a pas d'eau. J'ai de la famille mais, pour être franc, nous ne savons pas où aller.»

Comme beaucoup de Japonais frappés par la tragédie.

Lorsque le réacteur nucléaire de Fukushima a craché de la fumée radioactive, un vent de panique a soufflé sur Iwaki, vidant la ville d'une partie de sa population.

Aujourd'hui, la ville n'est plus que l'ombre d'elle-même. La plupart des commerces sont fermés; ceux qui ouvrent leurs portes n'ont que des tablettes vides à offrir. Dans le dépanneur Seven Eleven, il reste des cigarettes, de la crème glacée au thé vert et de la papeterie.

Pourtant, le tremblement de terre et le tsunami ont laissé peu de traces: des rues lézardées, des marches brisées, quelques murs fissurés. Le coeur d'Iwaki, ville de 340 000 habitants, a été épargné.

Par contre, à l'autre bout de la ville, le long de la mer, entre l'écume blanche des vagues et les montagnes qui barrent l'horizon, le tsunami a laissé des traces: autos renversées, toits effondrés, maisons défoncées.

Bref, peu de dévastation, mais un ennemi invisible et difficile à combattre: la radioactivité. Et la peur qu'elle engendre. Mais surtout, surtout, les rumeurs qui ont condamné Iwaki.

Ces rumeurs mettent le directeur de la ville, Matsuto Shimoyamada, dans tous ses états.

«Je n'ai qu'un message à faire passer, dit-il: les radiations ne nuisent pas à la santé, elles ne sont pas assez fortes. Mais les rumeurs disent que c'est dangereux. Les camions ne viennent plus à Iwaki. On manque de nourriture, d'essence, d'eau. Personne ne veut venir ici. Même les postiers refusent de venir chez nous.

- Où peut-on trouver de la nourriture?

- Vous devez faire la file pendant des heures devant les rares magasins ouverts ou aller dans un centre de distribution.»

Il travaille au quartier général où sont réunis pompiers, fonctionnaires et bénévoles. Le centre nerveux, réparti sur quatre étages. Au milieu, Matsuto Shimoyamada, cheveux gris, épaules courbées, visage fripé par le manque de sommeil.

L'hôpital continue de fonctionner, mais si la crise persiste, la situation risque de devenir intenable, prévient le Dr Honda. Malgré tout, le personnel tient bon. Malgré la ville à moitié déserte, malgré les magasins fermés et les étalages vides.

Et malgré la peur. Hisayo Moue vient de finir son quart de travail. Quatorze heures d'affilée. Elle est infirmière et elle tient le coup. Pas question de partir. Elle reste envers et contre tous, même si elle a peur des radiations.

«Vraiment peur?

- Oui, répond-elle. Pas à court terme, mais qu'est-ce qui me garantit que je ne serai pas malade dans 10 ans? Un cancer? La leucémie? Mais oui, j'ai peur.»

Et elle n'est pas la seule qui ait peur, dans cette ville. Avec ou sans raison.

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