L'invasion et la recolonisation du Maghreb par la France-Israel et ses harkis locaux
Depuis 1962 c’est la première fois que l’Algérie célèbre un 5 Juillet alors que des avions de l’armée française bombardent un pays voisin. Les bombardements contre la Libye ne peuvent pas davantage relever de la guerre humanitaire que ne relevait de la mission civilisatrice l’expédition coloniale française en Algérie. Pourtant la communauté internationale a accepté le principe de ce type d’intervention au nom de la défense des civils. Un bref coup d’oeil sur l’importance de la protection des civils dans la tradition militaire française rend urgent un débat.
Les fondamentaux de la guerre d’Algérie.
Il ya quelques mois, un jeune Lieutenant de l’armée française en partance pour l’Afghanistan répondait à un journaliste qui lui demandait ce que lui et ses hommes allaient faire là bas : « Nous allons appliquer les fondamentaux de la guerre d’Algérie.»
Déjà peu populaire au sein de la population algérienne, la guerre américaine en Afghanistan venait, dans le sillage d’un journal télévisé français, de perdre quelques uns de ses rares supporters. Par ailleurs, l’apparition des avions de combat français dans le ciel maghrébin et les bombardements qu’ils effectuent au-dessus de la Libye ont constitué au sein de l’opinion la plus large le franchissement d’une ligne rouge symbolique. L’armée française en guerre, ses pratiques et sa doctrine, sont un paradigme majeur dans la grammaire intime des peuples qui ont eu à en faire l’expérience.
Bugeaud, Galieni, Lyautey…
Que peut signifier d’un point de vue algérien, cette « normalisation » de la doctrine militaire colonialiste française dans laquelle les Bugeaud, Galieni, Lyautey et autres Galula tiennent une place non négligeable ? De quelle manière nous sommes-nous préparés à cette sortie française du « traumatisme de la guerre d’Algérie » ? Le citoyen ordinaire, trop occupé à survivre et à se demander quels types de rapports établir avec sa propre armée n’en sait rien. Les débats qui portent sur l’armée sont, comme les débats de manière générale, rares et de plus frappés de suspicion. Pourtant à observer la manière avec laquelle la France organise1 sa « sortie du traumatisme de la guerre d’Algérie » on se rend compte de l’urgence qu’il ya pour nous de débattre. De doctrine militaire aussi. On le sait, dans une société politisée, organisée et démocratique les questions de doctrine militaire ne sont pas l’apanage de la seule oligarchie de l’armée. C’est pourtant bien loin des villes et des montagnes occidentales et démocratiques que les armées de ces pays vont faire la guerre depuis plusieurs décennies. Mais en démocratie, le débat permet de mettre des garde-fous qui protègent la société, ses institutions et son Etat quand bien même c’est au loin que se déroulent les conflits.
Curieusement, c’est dans les sociétés où prennent place ces guerres, pensées et discutées ailleurs, que le débat est interdit. Les armées de ces pays dont l’insertion se fait, d’une manière ou d’une autre, dans les logiques sécuritaires globales ont au mieux pour tout bagage doctrinal un héritage symbolique.2
Au service des dictatures sud-américaines.
La France en a fini avec le traumatisme de la guerre d’Algérie, plus discrètement, mais aussi surement que l’Amérique a surmonté le traumatisme de la guerre du Viet- Nam. Les américains ne sont probablement pas étrangers à cette « résilience militaire ». A peine sortis de la guerre d’Algérie, les officiers français spécialistes de la guerre « contre-révolutionnaire » ont trouvé à s’employer en conseillant les dictatures sud américaines :
« Dans les années 1970 et 1980, les dictatures militaires du cône sud de l’Amérique latine ont férocement réprimé leurs opposants, utilisant à une échelle sans précédent les techniques de la « guerre sale » : rafles indiscriminées, torture systématique, exécutions extrajudiciaires et « disparitions », escadrons de la mort…C’est en enquêtant sur l’organisation transnationale dont s’étaient dotées ces dictatures le fameux « Plan Condor » que Marie-Monique Robin a découvert le rôle majeur joué secrètement par des militaires français dans la formation à ces méthodes de leurs homologues latino-américains (et en particulier argentins). Des méthodes expérimentées en Indochine, puis généralisées au cours de la guerre d’Algérie, pendant laquelle des officiers théoriseront le concept de » guerre révolutionnaire « . Dès la fin des années 50, les méthodes de la « Bataille d’Alger » sont enseignées à l’Ecole supérieure de guerre de Paris, puis en Argentine, où s’installe « une mission militaire permanente française » constituée d’anciens d’Algérie (elle siégera dans les bureaux de l’état-major argentin jusqu’à la dictature du général Videla). De même, en 1960, des experts français en lutte antisubversive, dont le général Paul Aussaresses, formeront les officiers américains aux techniques de la « guerre moderne » qu’ils appliqueront au sud-Viêtnam. »
L’héritage militaire français.
L’enquête de Marie-Monique Robin met au jour le lien entre idéologie, politique et doctrine militaire à proprement parler. L’expérience militaire que les français vont mettre sur le marché mondial de la guerre est une des plus brutales que l’humanité ait connues mais elle est de plus inapte à résoudre les problèmes là où elle s’est présentée en recours : Un général argentin parmi ceux qui appliquèrent scrupuleusement les « enseignements » français déclare quelques années plus tard : « … sans doute que les disparus furent une erreur, si vous comparez avec les disparus d’Algérie3, c’est très différent : c’était finalement les disparus d’une autre nation, les français sont rentrés chez eux et ils sont passés à autre chose ! tandis- qu’ici chaque disparu avait un père, un frère, un oncle, un grand-père qui continuent d’avoir du ressentiment contre nous, et c’est naturel… »4
Tout aussi grave, alors que son adoption dans les conflits internes laisse des séquelles douloureuses et politiquement difficiles à dépasser, le savoir-faire français ne semble pas avoir profité aux argentins dans la guerre des Malouines où ils subirent une mémorable défaite. « L’expérience historique montre que les responsables qui poussent les forces armées à réprimer leur propre peuple n’ont jamais vaincu un ennemi extérieur et, finalement qu’ils ne servent à rien pour la défense nationale… l’armée avait dépensé toute son énergie pour détruire ses propres bases sociales et nationales… sa défaite (notre défaite) a pour origine quasi-exclusive des facteurs provenant d’une certaine idéologie, entérinée par une doctrine : celle de la guerre antisubversive. »5
L’Amérique latine a payé un prix exorbitant à cette doctrine de la guerre antisubversive avant d’accéder enfin à la démocratie. Une démocratie que les pays occidentaux, oublieux de leurs engagements aux cotés des dictateurs vont désormais prétendre exporter sur tous les continents. Le nouveau mot d’ordre est dorénavant de faire la guerre a ceux qui font la guerre à leur propre peuple, comme Saddam Hussein ou Gueddafi.
Depuis que l’invasion de l’Irak a signé le grand retour des armées occidentales sur des théâtres de guerre arabe, l’expérience française est fortement sollicitée. Mais cette sollicitation ne se fait plus sous la seule forme des « conseillers spéciaux » que l’on cache honteusement. Le retour de « l’héritage militaire français» se fait sur les théâtres de guerres contemporains sur la base, non d’une maitrise des nouvelles technologies de la guerre, mais sur celle d’un vieux savoir faire en matière de guerre coloniale. Décomplexée, l’armée française articule néanmoins l’expérience historique à son insertion dans les rangs de l’Otan sur plusieurs continents et élabore un discours lisse susceptible de séduire à l’heure de la globalisation.
«Jusqu’à très récemment, l’armée française a évité de parler de « contre-insurrection » refoulant d’un même mouvement le souvenir de l’Algérie et la validité d’un concept ressuscité dans l’urgence par les américains embourbés en Irak. Pourtant son expérience en matière de « guerre révolutionnaire » et de « guerre au sein des populations », pour reprendre une expression aujourd’hui en vogue, est exceptionnellement riche et diverse, peut-être plus que celle d’aucune autre armée européenne (…) des premières aventures coloniales jusqu’aux interventions actuelles, en passant bien entendu par les guerres de décolonisation des années 1950 et 1960, on peut certes identifier des éléments de continuité, tant institutionnels que culturels. Certaines unités militaires en particulier se réclament explicitement de l’héritage colonial et en perpétuent avec fierté les traditions» Lire la suite de l’article d’Etienne de Durand .
1- Ces dernières années on a assisté en France à la publication d’ouvrages, la production de documentaires et de thèses universitaires sur les méthodes, la doctrine et l’histoire contemporaine de l’armée française.
2- C’est le cas de l’armée algérienne qui se revendique de l’ALN mais l’armée de libération nationale était une armée de résistants ce qui est quelque peu différent d’une armée classique).
3- Les disparus de la guerre d’indépendance, pas ceux des années 90.
4- in Escadrons de la mort, l’ecole française. Page 340.
5- in Escadrons de la mort, l’ecole française. Page 364.
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